Pendant dix ans, Deportivo fut l'une des zones de turbulences les plus mémorables du rock français. Un power-trio fiévreux et racé qui, parti des Yvelines en 2003, a résonné tambour battant et quatre albums durant sur les scènes de France et de Navarre. Navarre, c'est justement le nom que s'est choisi Jérôme Coudanne, chanteur et guitariste de Deportivo, pour une nouvelle aventure solitaire qu'il a voulu en tous points distincte de celle du groupe, lequel demeure à ce jour en sommeil sans être forcément éteint. Installé pendant un temps à Barcelone, Jérôme a pris le temps de goûter aux langueurs locales et aux soirées torrides d'une Catalogne qui aura forcément imprégné son écriture, les musiques et paroles étant comme collées les unes aux autres dans la moiteur des nuits de cet Eurotrash summer. Je voulais que cet album donne l'impression d'avoir été écrit au cours d'un été caniculaire , explique-t-il. Il parle aussi pour le décrire d'une élégante noirceur 80's , et fait rimer la noirceur en question avec chaleur et torpeur, autant de mots qui viennent effectivement à l'esprit à l'écoute des 12 plages qui en constituent la narration. Les synthés et les boîtes à rythmes ont pris le pas sur les guitares, une forme de résignation dandy a remplacé l'énervement juvénile d'antan, une sensualité suffocante et un certain aquoibonisme balnéaire affleurent tour à tour de ces morceaux aux humeurs bipolaires. Comment fait-on pour jongler entre le vide et l'envie ? La question méritait d'être posée, et Navarre en apporte une réponse non définitive par son goût des jouissances et son anxiété mêlés, ses oraisons acides d'un monde en décomposition et son envie de danser vaille que vaille sur les cendres. Jérôme n'a jamais été un rigoriste de la chose rock, de cette pureté supposée des gestes électriques. Il a embrassé cette voie parce que l'époque l'avait rendue nécessaire, mais désormais rangé des amplis il laisse flâner son inspiration sur des rivages plus indéfinis, sautant d'un genre à l'autre sans se regarder dans la glace. Il se laisse avantageusement dériver vers des climats et des territoires inconnus, avec notamment pour boussole, le Bashung imprévisible et iconoclaste des années 80. Paradoxalement, sur cet album de solitaire il aura aussi partagé. Ainsi, Jérôme a délégué certains arrangements à d'autres, comme le sensible Ricky Hollywood qui a chahuté Cruel summer et Décadence, le surdoué Dodi El Sherbini ou encore le DJ et producteur de rap Lucien Krampf pour des arrangements qui bousculent les règles et décuplent la puissance originelle des morceaux. C'est le réalisateur Stéphane Alf Briat (Air, Phoenix) qui s'est chargé de faire le lien entre Navarre et ces émissaires extérieurs, tout en mettant en ordre sans les dénaturer toutes les idées dispersées dont Jérôme avait encombré ses démos. Largement fait à la maison comme un carnet de croquis, Eurotrash summer est un composite d'influences qui vont de la variété la plus trash (Claude François, Balavoine) à la pop contemporaine la plus déviante, de Mac de Marco à Frank Ocean ou Foxygen. La voix nonchalante, le regard en coin et le corps qui chaloupe sur des rythmiques eurodisco, Navarre ressemble parfois à un Pet Shop Boy lo-fi (C.C.S., Eurotrash summer), d'autres fois il joue la défroque minimaliste façon Beck des débuts (Radio Bogatell) ou au contraire s'emballe comme un cavalier face aux moulins (Comment fait-on ?, A ta place) avant de baisser la garde (Tous les soirs et son émouvant désenchantement). L'été de Navarre est un peu meurtrier, assurément cruel, mais il est surtout la source d'un inlassable désir hédoniste, car si Rien ne dure, que tout n'est que toc et que Nous n'avons rien à perdre sous le soleil superbe , autant vivre l'instant avec panache. L'humeur (Zombie Zombie, beau comme un slow de Christophe) finit par se révéler plus câline à l'arrivée, sans doute portée par ces musiques joyeusement séductrices, et cet Eurotrash summer pourrait finalement se déployer en pente douce.