Leyla McCalla
Sacré Album de l’année 2014 par le London Sunday Times et le magazine Songlines, le premier album de Leyla McCalla, Vari-Colored Songs : A Tribute to Langston Hughes – qui comprend des poèmes de Hughes mis en musique par Leyla ainsi que des compositions originales et des chansons folkoriques haïtiennes – a profondément impressionné tous ceux qui l’ont écouté. Offbeat a ainsi jugé Vari-Colored Songs « ambitieux, profond et sublime », tandis que le Boston Globe a décrit le disque comme « à la fois sophistiqué et rare, comme un field recording en haute définition ». Le titre Heart Of Gold a été diffusé sur la National Public Radio, qui en a comparé l’instrumentation à « une nuit de solitude ». C’est peut-être le New York Times qui a le mieux cerné l’album en évoquant « des pensées graves maniées de la main la plus légère possible ».
Américano-Haïtienne chantant en français, créole haïtien et anglais, Leyla McCalla joue du violoncelle, du banjo ténor et de la guitare. Profondément influencée par les traditions créoles, cajun et haïtienne, mais aussi par le folk et le jazz américains, sa musique est à la fois directe, élégante, expressive et spirituelle. Elle résonne de trois siècles d’histoire, tout en restant étonnamment fraîche, singulière et actuelle.
Née à New York de parents immigrés haïtiens, Leyla McCalla a grandi dans une banlieue du New Jersey et a passé une partie de son adolescence à Accra au Ghana. C’est en emménageant à la Crescent City – La Nouvelle-Orléans – en 2010 que Leyla a ressenti une nouvelle connexion avec ses racines haïtiennes. Je me sens tout à fait chez moi ici : plus j’en ai appris sur l’histoire de la Louisiane et ses liens avec Haiti et la culture francophone, plus je me suis sentie – et continue de me sentir – à ma place. Ce déménagement l’a conduite à participer à Leaving Eden, album des Carolina Chocolate Drops nominé aux Grammy en 2012, ainsi qu’à de nombreuses dates de concert sur la tournée du groupe. Sa propre musique s’en est également trouvée profondément enrichie et c’est avec détermination que Leyla s’est engagée sur le chemin qui a finalement abouti à la création de Vari-Colored Songs.
Après de longues tournées aux Etats-Unis, en Europe et en Israël pour promouvoir le disque, Leyla s’est consacrée à A Day For The Hunter, A Day For The Prey, son nouvel album dont le titre, issu d’un proverbe haïtien, est également celui d’un essai de Gage Averill sur la musique populaire, le pouvoir et la politique en Haïti publié en 1997. Leyla McCalla poursuit ainsi son exploration des thèmes de la justice sociale et de la conscience panafricaine, qui ont marqué Vari-Colored Songs : Je ne peux pas m’empêcher d’être inspirée par l’histoire aussi bien que par l’actualité, explique-t-elle.
Une fois encore, Leyla mêle dans cet album des chansons en anglais, français, et en créole haïtien. A Day For the Hunter, A Day For The Prey fait également la part belle aux invités, puisqu’y figurent autour de son groupe régulier (avec Free Feral à l’alto, Jason Jurzak à la basse et Daniel Tremblay au banjo et à la guitare)@ le guitariste culte Marc Ribot, Rhiannon Giddens des Carolina Chocolate Drops, Louis Michot des Lost Bayou Ramblers et la guitariste et auteure-compositrice néo-orléanaise Sarah Quintana. Il y a beaucoup de bonnes choses autour de cet album. On y entend bien sûr de nouveaux arrangements de chansons traditionnelles, mais aussi des compositions originales, qui représentent presque un tiers des titres. J’ai très envie de continuer à développer cette partie de mon travail, et je suis très heureuse de progresser artistiquement.
Mélissa Laveaux
C’est une douce révolution. Si Mélissa Laveaux n’a rien escamoté de l’identité très forte dessinée par un premier album acclamé (Camphor And Copper, 2008), elle s’est aujourd’hui réinventée. À la douceur acoustique d’un folk langoureux et chaloupé, la jeune femme préfère à présent l’énergie plus sophistiquée d’une pop percutante et irrésistible. L’écriture est toujours aussi personnelle, la voix toujours aussi sensuelle et juvénile, mais les orchestrations explosent en un feu d’artifice inventif, qui fait la part belle aux rythmiques et à des sonorités plus synthétiques.
C’est la réinvention d’une vie. Née à Montréal en 1985 de parents haïtiens, Mélissa Laveaux grandit à Ottawa (Ontario). Dans la foulée de son premier album, elle s’installe en France, une étape délicate qui nourrit largement les textes de Dying Is A Wild Night. La jeune femme y envisage ces dernières années sous un angle intime, puisant dans des moments difficiles une énergie nouvelle. Emprunté à la poétesse américaine Emily Dickinson, le vers complet est “Dying Is A Wild Night And A New Road”. L’idée est belle et symbolique : rompre les amarres avec son pays était à la fois un déchirement et la promesse d’un nouveau départ.
C’était aussi un nœud de paradoxes : dans un même mouvement, Mélissa s’éloignait et se rapprochait de sa famille. Elle a mieux appréhendé le parcours de ses parents, émigrés haïtiens, tandis que l’éloignement géographique se doublait d’une incompréhension de leur part sur son choix. C’est le thème du single Postman : arrivée à Paris, il a fallu trouver des ressources ailleurs que dans une lettre que le facteur ne déposera jamais.
La beauté et l’énergie de Dying Is A Wild Night tiennent à une tension entre cette écriture très personnelle et un travail profondément collectif. L’enregistrement des maquettes, d’abord, s’est fait avec la batteuse de jazz Anne Paceo, indice déterminant sur des chansons à l’assise rythmique souvent étonnante (Mélissa voue une admiration sans borne au duo Wildbirds & Peacedrums, qui travaille sur les combinaisons percussions/voix). La suite est un travail de studio passionnant avec trois réalisateurs : Vincent Taeger, Vincent Taurelle (claviers de Air) et Ludovic Bruni, qui ont remodelé certains titres et apporté beaucoup à la texture sonore des chansons. Il y a là une modernité qui évoque volontiers la pop mutante de Santigold et Goldfrapp mais aussi les derniers développements de la carrière de Fiona Apple, exigeants et inventifs derrière leurs atours pop.
Mélissa Laveaux le confie sans difficulté : elle écoute beaucoup plus de musique qu’elle n’en écrit. Cela informe ses chansons de milles nuances et influences parfaitement assimilées. L’étonnante reprise du Hash Pipe de Weezer s’impose comme la touche rock d’un album à l’éclectisme élégant : soul chantée d’une voix de velours (Dew Breaker), pépites énergétiques et élancées (Pretty Girls, Sweet Wood) ou tubes pop parfaitement balancés entre sonorités organiques et synthétiques (les incroyables Triggers et Generous Bones). Comme un trait d’union avec le premier album de Mélissa, une merveille acoustique au déhanché délicat s’est glissée en fin d’album : chantée en créole, Pie Bwa est une variation autour du Strange Fruit de Billie Holiday, écrite du point de vue de l’arbre, ensanglanté. Une image puissante sur un album audacieux : orchestrations modernes, mélodies imparables et textes personnels traversés d’interrogations sur la foi, Dying Is A Wild Night est de la trempe des grands disques pop, qui touchent à la fois le cœur, la tête et le plexus.