Le jazz zen
"Pourquoi tout compliquer quand tout est si facile ?", se désole Catherine Deneuve dans la chanson "De Delphine à Lancien", tirée de la comédie musicale Les Demoiselle de Rochefort. Comme un écho à la musique de Yuval Amihai. Le troisième album du guitariste franco-israélien s’ouvre sur cette scène d’amour contrarié et se ferme sur les jeux de séduction de Woody Allen, à travers le titre "You are too beautiful" de Richard Rodgers et Lorenz Hart. Woody aime les casses-têtes, Yuval ne craint pas les carrefours, à l’image de sa mappemonde musicale, traçant des ponts imaginaires d’Est en Ouest, de la côte Cotton Club des États-Unis aux déserts du Néguev. Une façon de sauter les frontières en jonglant avec les répertoires, frayant dans le jazz cool, le bop, las jeux de jazz, mais aussi les shuffles blues et les chants israéliens.
"I ain’t got nothing but the Blues". Contrairement à ce que laisse supposer l’intitulé de cet album (Fresh Sound Records), le jazzman chercheur de blues notes ne manque pas de richesse harmonique. Ni d’aplomb quand il s’agit de s’attaquer au standard de Duke Ellington. Il avait en tête la version d’Ella Fitzgerald et Joe Pass : "Je voulais faire chanter la guitare comme la voix d’Ella". Son interprétation sera tout en retenue, slow tempo, avec des bends chamallow, tirés avec espièglerie, créant un jeu du chat et de la souris avec la diva et le Duke. C’est en trio (le bassiste Damien Varaillon et le batteur Gautier Garrigue) qu’il a décidé de cheminer, une formule intimiste avec laquelle il tourne depuis des années, "qui me rapprochait également du blues, ce versant guitare dans le jazz".
De "Love for Sale" de Cole Porter à "Stolen Moments" d’Oliver Nelson, en passant par "So Tender" de Keith Jarrett et bien d’autres pépites du répertoire, sans oublier trois délicates compositions, le musicien rembobine la bande-son du jazz pour proposer ses propres bandes originales : "Je voulais m’inscrire dans la culture populaire du jazz, à travers ses standards. Je n’ai pas suivi de démarche musicologique, j’ai choisi ces titres à l’instinct, en résonance, ils illustrent tous des étapes de mon parcours musical." Yuval évite l’exercice de style pour proposer un éclairage. Et faire entendre sa propre voix, suave, via la rondeur et la chaleur de sa guitare archtop, fabriquée par le luthier new-yorkais Victor Baker. L’homme joue sur du velours. Ses deux premiers albums ont été salués par la critique (Yuval Amihai Ensemble en 2012 et Longing en 2015). On loue son "lyrisme", "sa délicatesse", son "apparente simplicité". Telle est, en effet la griffe de ce virtuose qui refuse d’en être un. Orchestrations a minima, esthétique épurée, discours sur le fil, le compositeur-conteur fuit les mitrailles de notes tout autant que les propos ampoulés. Plutôt plume que gâchette. "Mon but, c’est que les auditeurs soient touchés par la musique, non refroidis par l’aspect technique. Je me méfie des démonstrations et des concepts pompeux. A mes yeux, la musique doit être universelle, partagée par tous et non la propriété d’une chapelle de spécialistes", affirme le musicien sans consignes de notes.