Semer. Ses œuvres et les condés. C’est par ce verbe un brin agricole que mon pote Luigi me résumait ses soirées peinture en extérieur. Le gars était graffeur, un as des bubble letters, qui sortait chaque soir avec son sac bourré de bombes et revenait à pas d’heure dans les essences d’acrylique. Un poil repérable malgré la capuche. Comme le peintre sur bâtiments n’était pas très souple du bassin, pas du genre yamakazi, il se cantonnait à recouvrir les rames du RER B. Un type rectangulaire, tout en longueurs. "Mec, je ne suis pas un acrobate de l’aérosol. Et puis, on lit bien de gauche à droite à gauche, non ?", se justifiait-il, pas du style à tourner la page.
A Massy, les murs ne manquaient pas, mais allez savoir pourquoi il massacrait toujours le même entrepôt de la RATP, un vieux lego de briques moisi par l’ennui, en bout de voie. Une "punition" en attendant sa grande œuvre, sa masterpiece, un "whole-car" (recouvrement intégral) sur le wagon désaffecté qui tenait lieu de buvette aux employés. Sa propre Journée du Patrimoine.
Quand il ne sévissait pas en banlieue, Luigi courait les soirées clandestines du terrain vague de Stalingrad, où graffeurs, rappeurs, DJs et danseurs posèrent dans les années 80 les premières pierres du Hiphop hexagonal, avant de filer guincher au Globo. Ou entre les pattes de la police, selon le planning de la maréchaussée. Un style, un blaze (Lou/X-J), une punchline : "Je suis un musée !". Une façon de s’inscrire dans la grande histoire picturale, des fresques murales de Pompei au "Tricotag", une technique de crochet outdoor et anti-plaid des ghettos actuels. Il citait Brassaï, qui qualifia un jour de gloire les graffitis "d’art bâtard des rues mal famées", pour bien faire comprendre que la nouvelle peinture urbaine se passait désormais hors et sur les murs. Street artist, pas artiste de rue. Il l’avait même graffé en signe de manifeste sur la façade de son immeuble. Fair-play, le syndic de co-propriété lui avait proposé de s’exercer au white spirit le week-end suivant.
Lou/X-J ne court plus devant les flics ni les vigiles de la RATP mais les galeries de Street Art et les festivals dédiés. L’an dernier, pour la première fois de sa vie, il fut invité à peindre un mur municipal, sous le regard des grosses huiles locales. Une blague, un piège ? Non. Une revanche après des années à guetter les wagons flambants neufs de la ligne B. Entre les food trucks fumant de graillon et les vapeurs d’aérosols, pas simple de garder son estomac dans son baggy, ni de jongler entre Posca et hot dog. Luigi mit environ quatre heures à finir sa fresque, en se retournant régulièrement pour contrôler le périmètre, un vieux réflexe, ou pour vérifier que le maire ne lui collait plus aux basques, street credibility oblige. Quels que soient les semences et les fruits de la récolte, on ne change pas un homme aux semelles de vent.