Tous les coups de coeur de la rédaction

Interview

St Germain : Electro-griot

Electro — Le 12 novembre au Bataclan

Après quinze années de silence radio, l'icône de la deep house, mélange d'électro lounge et de jazz-funk émergeant à Chicago dans les années 80, est sorti de son home-studio avec un nouvel album éponyme. Qualifié d'ermite, statue malgré lui de la French Touch, Ludovic Navarre lorgne aujourd'hui les rives du Mali, enjambant deux continents pour des mariages savamment arrangés de textures occidentales et de pigments africains. (Man)dingue !

Cela fait quinze ans que la presse et le public attendaient ce nouvel album. Que s'est-il passé : marre de la musique, manque d'inspiration ?
Disons qu'en 2002, après deux ans et demi de tournée, dont trois fois l'Australie, deux fois les Etats-Unis, l'Europe en long et en large, j'étais lessivé, tout comme mes musiciens. Nous avions l'impression de nous répéter, d'être des robots, même si le plaisir de jouer était là. Il était temps de faire une pause... Néanmoins, je n'ai pas complètement coupé avec la musique : j'ai produit l'album de mon trompettiste Soel ; en 2005, j'ai donné un concert en Chine avec Tony Allen... J'ai commencé à travailler sur cet album en 2006. Ça m'a pris du temps car je suis passé par plusieurs phases : je me suis plongé pendant une année dans le highlife et l'Afrobeat du Nigéria des années 70, mais ça ne me convenait pas et puis ça a déjà été pas mal exploité. Je suis ensuite aller fouiner du côté de la musique du Ghana, plus soul-funk, mais là encore je n'ai pas trouvé les bons musiciens. Puis je suis arrivé au Mali, courant 2008 ; ça a été une évidence, cette musique est plus accessible, plus parlante...

Plus qu'un énième métissage entre l'Occident et l'Afrique, tu proposes une sorte de retour aux sources en partant de la musique malienne pour cheminer vers le blues puis le jazz et les musiques actuelles. En somme, une sorte de trajet originel de la note bleue.
Oui, c'était ma démarche, non formulée dans un discours mais illustrée dans les sonorités : naviguer dans l'univers du blues via des instruments traditionnels, le n'goni, la kora, le balafon. J'ai eu un déclic en visionnant des documentaires sur sur les chasseurs maliens, sur internet. Ce sont des prêcheurs- guérisseurs qui jouent une musique composée de boucles hyp-notiques, de transe, avec des chants et du parlé-chanté. J'ai également été marqué par une vidéo du musicien malien Vieux-Kanté, surnommé le "Jimi Hendrix du kamélé n'goni" (une sorte de harpe composée d'une calebasse évidée, ndlr) qui jouait lors d'un mariage. Fantastique !

Mélanger les voix maliennes aux cuivres, le piano au n'goni et à la kora, tout cela sur fond de musique électronique... Craignais-tu certains mariages mal arrangés ?
Non. Je n'avais pas d’idée pré-conçue, mais je savais que ce serait compliqué à réaliser pour avoir déjà expérimenté ces mélanges de sons et de rythmes si différents. Il fallait éviter de tomber dans le vulgaire, dans une sorte de dance sans texture ou une musique marquée clubbing.

A l'image de la pochette de ton album, tu reviens derrière un masque. Besoin de déboulonner la statue St Germain ?
Oh non, c'est tout simplement lié au fait qu'à l'époque, j'habitais Montmartre, à quelques mètres de l'atelier de Gregos (artiste de street art réputé pour ses visages de plâtre polyester collés sur les murs de la capitale, ndlr). Il y avait l'un de ses masques juste en face de chez moi, je le croisais tous les jours, l’idée de l'utiliser sur ce disque a peu à peu infusé. Je trouvais intéressant de mettre mon visage sur ce disque mais sans m'afficher... Il faut dire que je suis quelqu'un d'assez simple, je ne me pose pas de questions sur les stratégies de com-munication, je ne fais pas de plans de carrière... Je suis bien chez moi, enfermé dans mon studio.

Depuis quelques années, ce qu'on qualifie d'électro-mandingue a le vent en poupe, notamment à travers les succès d'Electro Bamako et de Midnight Ravers. Quel regard portes-tu sur ce phénomène auquel on pourrait t'associer ?
Je ne connaissais pas ces groupes quand j'ai commencé à composer mon album, mais nous ne faisons pas du tout la même musique ! Le mariage de l'électro avec la musique malienne qu'ils proposent semble plus évident, au niveau des rythmes notamment, alors qu’avec la deep house, ce mélange de musique électronique et de jazz joué par des musiciens, c’est une tout autre plongée. En tout cas moi, je n'entends pas les mêmes choses.

Justement, comment les musiciens maliens ont-ils appréhendé le grand écart que tu leur proposais ?
J'ai senti dans certains de leurs silences qu'ils se posaient des questions sur cette fusion, notamment sur la gestion des rythmes et les intentions de jeu. D'autant que je désirais des contrastes marqués. Il y eut parfois des incompréhensions, c'est logique... Un exemple : chez les musiciens, dès que le pied commence à battre la mesure, ils ont tendance à forcer leur jeu. J'ai passé beaucoup de temps à parler avec eux, à me demander comment ils recevaient mes indications, je ne voulais surtout pas les vexer. Une autre anecdote : un jour, nous travaillions sur le titre "Family Tree" avec le chanteur et le joueur de kamélé n'goni, qui est également chasseur. Je voulais rajouter des cordes de n'goni, et là, il m'explique qu'on ne peut pas mélanger ces deux instruments, que ça ne se fait pas dans la musique traditionnelle, bref qu'il y a des codes à respecter... Ça commençait bien ! (rire)

En seulement deux albums (Boulevard en 1995 et Tourist en 2000), tu as vendu plus de quatre millions de copies dans le monde, devenant une icône de la scène électro. Comment as-tu vécu ce tourbillon ?
Hum... Je ne sais pas trop comment répondre, ma vie n'a pas changé. Ce que j'aime, c'est l'underground. C'est sûr que j'aurais pu faire un album avec des featurings archi-connus pour assurer les ventes, mais ce n'est pas ma façon de pro-céder. Quand je fais une pause, je coupe les ponts : plus de discussions sur le business, le boulot, plus d'interview. D'ailleurs, je n'ai aucun problème pour me couper du monde, je suis casanier, la foule me stresse, je ne suis pas du tout Facebook et réseaux sociaux, bref je disparais de la circulation et ça me va très bien. J'aimerais finir mes jours les pieds dans l'eau...

Pour finir, quels sont tes bons spots parisiens ?
Je n'en ai pas car je ne sors pas ! (rire) Tu sais, je passe ma vie dans mon studio, devant mes écrans, je m'y colle tôt le matin et je relève la tête à minuit ! Peut-être le Djoon (resto-club dans un loft sur deux étages, situé dans boulevard Vincent Auriol dans le 13ème, ndlr), qui invite pas mal de DJ je crois. Je ne me considère pas comme un spécialiste, mais à mes yeux, la scène électro parisienne a commencé à décliner vers 2007/2008... En se démocratisant - ça mixait dans tous les bars, les salles de concerts -, le mouvement a été un peu récupéré, comme d'autres musiques d'ailleurs. Ce n'est pas l'univers d'où je viens, le mien est plus organique - la soul, le blues, les musiques de Detroit et de Chicago - alors que la scène parisienne penche vers la pop électro. Comme je te le disais, j'aime les musiques underground, leur authenticité, leur absence de cadres, ce sont des friches culturelles. C'est au milieu de nulle part que surgit la création.

St Germain (Parlophone/Warner)

En concert le 12 novembre au Bataclan

—  Ben

En savoir plus

St Germain

12/11/2015  –  Le Bataclan Paris 11

Retour