Depuis la rentrée, Reza Ackbaraly, ex-programmateur de la chaîne Mezzo, concocte des soirées alternatives à La Petite Halle. L’occasion de tester le goût des Parisiens pour des propositions musicales hors des chapelles.
Comment est née cette aventure ?
Il y a une dizaine d’années, j’avais lancé un événement à la Bellevilloise, intitulé Jazz Mix Step : l’idée était de proposer des battles, comme ce qui se pratique dans le hip hop, mais entre musiciens et danseurs. Et ce, peu importe les genres, comme par exemple un danseur de claquette avec un joueur de tablas. C’était improvisé, en profitant des opportunités, mais ça avait cartonné ! Depuis, l’équipe de la Bellevilloise souhaitait refaire quelque chose, sans que l’on puisse y parvenir… Jusqu’à ce qu’elle récupère La Petite Halle, un bar-resto accolé à La Grande Halle, il y a un peu plus d’un an. Ils m’ont demandé de réfléchir à une programmation. Pour moi, il fallait optimiser le fait que ce lieu soit placé au centre de La Villette, c’est-à-dire une zone représentant l’une des plus fortes densités de propositions musicales au monde : le Cabaret Sauvage, le Trabendo, le Zénith, la Philharmonie, la Cité… Il peut y avoir 10 000 spectateurs le même soir ! Pourtant en sortant d’un concert, il y a très peu d’endroits pour boire un verre, dîner, tout en pouvant écouter de la musique… Il s’agit donc de prolonger la soirée, en capitalisant notamment sur les structures alentours et en rebondissant sur les programmations.
Les premières soirées ont eu lieu lors de Jazz à la Villette. Un beau diapason.
Génial ! On a réussi notre pari en faisant venir des spectateurs du festival et les musiciens qui venaient de s’y produire. Mos Def a jammé avec Tony Allen et Robert Glasper, Melvin Van Peeples avec les Heliocentrics, Seb Rochford, le batteur de Sons of Kemet, avec des musiciens français, Magic Malik avec les musiciens de Steve Coleman... Il y a même eu un DJ set impromp-tu de Para One avec Alex des Hot Chips et Sinkané. Des castings très ouverts, la plupart du temps gra-tuits, même lorsqu’il s’agit de con-certs, comme celui du Brésilien Tiganá Santana fin septembre.
Faire venir jammer des musiciens qui se produisent dans d’autres lieux ne doit pas être simple...
Oui, c’est quelque chose que tu ne peux écrire, et encore moins forcer. Quand c’est un musicien comme Cheick Tidiane Seck, qui se produit avec les Ambassadeurs à la Cité de la Musique, je sais par expérience que cela va jammer, tout comme lorsque j’organise l’after-show du saxophoniste Kamasi Washington, pour sa première date parisienne. Il faut que ça vienne des musiciens, même si je suis là pour faire le relais, les connexions. Je viens d’ailleurs de rencontrer les musiciens de l’Orchestre de Paris - 120 artistes en résidence hebdomadaire plusieurs jours à la Philharmonie -, en leur demandant si parmi eux, certains avaient d’autres groupes. Forcément ! L’hautboïste a justement un projet électro. Et ce n’est pas le seul. J’ai simplement envie de décloisonner les musiques.
Comme lorsque tu proposes un DJ set d’Arandel après le concert d’Arvo Pärt…
Mon rêve serait qu’un violoncelliste du London Symphony Orchestra joue du Bach avec un danseur de hip hop, et que Magic Malik arrive par dessus. Prochainement, la Philharmonie consacre trois soirées à Jacques Higelin. J’ai donc demandé à Luc Frelon et Milena Rousseau, programmateurs de Fip, de venir pour passer des disques en relation. J’aime l’idée de donner les platines à des sélecteurs dont ce n’est pas forcément le métier.
L’autre difficulté consiste à prévoir, à long terme, des soirées censées être improvisées.
Cela peut être aussi une force. Ça permet d’être très réactif, même si je mets en place des événements pour la saison. Ce sera moitié-moitié, un peu comme la répartition entre les DJ sets et les concerts. Il faut que cela reste un lieu informel, en mode after. Après un concert, tu n’as pas forcément envie de te rasseoir pour écouter. D’où l’esprit des rencontres.
C'est ce que tu développes depuis des années avec les JazzMix, créés à Vienne.
J’adore faire des rencontres, sortir un peu des sentiers battus. Pas programmer la tournée que tu peux entendre partout. Le JazzMix a bénéficié du festival, de son aura, et nous avons même exporté le concept à New York, Belgrade et Istanbul. Ce qui est plus compliqué ici, c’est que ce n’est pas associé à une sortie de disque. Pour installer ce rendez-vous sur le long terme, il nous faut un peu de temps.