La Normandie, l'autre terre des songwriters. Du moins dans La Maison Tellier, une propriété prisée, jamais privée, où les verdures chatoyantes de la chanson française le disputent plus que jamais aux déserts arides de la country-folk. Dans leur somptueux cinquième album, Avalanche (At(H)ome), les faux frères Tellier épurent le propos - voix au creux de l'oreille, guitares moins poilues -, en quête de bonheurs simples. Il y est question d'Amazones, de garçons manqués et d'hommes qui n'en sont plus. Des avalanches de tous les jours. Entretien avec Yannick Marais, alias Helmut Tellier, auteur-chanteur des voyages intérieurs.
Pourquoi ce titre "Avalanche" ? Parce que c'est un phénomène qui emporte tout sur son passage ?
Oui, il y avait cette idée, mais aussi un côté un peu provoc', comme le titre de l'album précédent, Beauté pour tous, où l'on se plaçait dans la position du grand penseur qui sait ce qu'est la beauté et fait la leçon à ses contemporains. Pour Avalanche, on retrouve cette ironie dans la volonté de dire qu'avec ce disque, nous allons tout emporter sur notre passage. Plus sérieusement, on aimait l’idée d'ambivalence des avalanches, ces moments dans la vie où l'on a l'impression d'être emporté, de ne plus avoir aucun contrôle, puis de faire table rase et de repartir sur une neige vierge, sur laquelle on fait ses propres traces.
Vous dites que "c’est un disque où l'on s’est révélés, frottés à nous-mêmes. Le disque qui nous intéressait, pas celui qu’on pouvait attendre de nous." C'est-à-dire ?
Disons que pour ce nouvel album, nous étions attendus sur son es-thétique country-western, ce côté musique qui sent le bois. Or nous avions le sentiment d'avoir fait le tour de cette thématique et de ce type d'arrangements. Comme nous avions peu de temps pour faire cet album - un an à peine -, nous avons dû épurer le discours, ne pas surcharger avec les filtres habituels. Au niveau des textes, c'est un peu plus cru, personnel. Nous avons travaillé avec le réalisateur Yann Arnaud, pour nous épauler dans cette nouvelle direction artistique. Il a été un révélateur. C'est la première fois que nous travaillions de la sorte, avec un sixième membre finalement. Avant, nous fonctionnions en circuit fermé et buttions parfois sur des arrangements. Par exemple, il nous a débloqués sur la chanson "Où sont les hommes", une espèce de rock country à la T-Rex un peu confuse au départ.
On sent en effet que vous avez taillé dans l’os, baissé le son des guitares et simplifié les arrangements. Besoin de se mettre à nu, de chanter dans le creux de l'oreille ?
Oui, il y avait cette envie de simplifier les orchestrations, car, jus-qu'ici, nous avions tendance à empiler les couches ; c'est le problème de la technologie. Yann nous a con-cocté une cure d'amaigrissement pour homogénéiser le son. Ça nous a permis de ne pas tomber dans l'écueil de l'album "auberge espagnole", gavé d’influences.
Bref, une musique minimaliste pour illustrer une quête du bonheur, raconter les combats ordinaires et les petites joies du quotidien...
Oui, nos propres avalanches. Personnellement, j'étais dans une période de remise en question, à la fois personnelle et professionnelle. A quarante ans, mon rêve de gosse se réalisait enfin : ne vivre que de la musique. Mais ça s'accompagne forcément de doutes, de secousses intérieures... Sans vouloir tomber dans la psychologie de bac à fleurs, c'est un âge bizarre où nos enfants ne sont pas encore grands, nos pa-rents pas encore partis, on a le cul entre deux chaises. Au lieu d'écrire des histoires rocambolesques, des voyages dans le temps, j'avais envie de plongées intérieures et d'en assumer le côté impudique.
Justement, dans "Haut, Bas, Fragile", tu chantes qu'il faut apprécier "la simple joie de vivre". C’est plus que jamais d’actualité...
La résonance de ses angoisses personnelles face à ce qui se passe à l'échelle d'un pays, c'est fascinant ! Cette impression semi-dépressive d'être arrivé au pied du mur et de se dire : "Qu'est-ce qu'il nous reste ?". Je me rappelle de cette phrase de Joann Sfar : "La joie se décrète". Le bonheur est un concept marketing, la foi - gamin, je me suis farci mon lot de messes, communion, de trucs spirituels -, je ne suis plus client. Au final, il faut se battre pour des joies simples.
Dans cette chanson, tu croques l'homme en colis fragile, avec inscrit dessus "prière, prendre soin d'Helmut".
Je voulais décliner le concept du "cultivons notre jardin". Un exemple : nous avons fait une petite tournée en Russie, en novembre dernier. Chez moi, c'était une source d'angoisses car je n'aime pas l'avion et j'avais ces clichés des films américains sur les vilains et austères Russes. Au final, ça restera comme l'un des grands souvenirs de l'his-toire du groupe et de la mienne. Mais l'idée sous-jacente de ce titre, c'est d'expliquer que je n'ai pas assez d'empathie pour prendre sur mes épaules tous les malheurs du monde, comme le faisait une Mère Teresa, qui avait un amour universel. C'est chiant les gens totalement dépressifs, donc la moindre des politesses, c'est d'essayer de donner un peu de joie autour de soi. Quant à la dernière phrase "prière, prendre soin d'Helmut", c'est une manière de tomber le masque en enterrant cet alter ego, Helmut Tel-lier, cette fausse identité des premiers albums derrière laquelle je me cachais.
En guise de fil rouge, vous vous questionnez sur ce qu'est devenu l'être humain, notamment dans la chanson "Garçon Manqué". Selon vous, l'homme ne serait plus qu'un garçon manqué ?
Disons que nous avons l'impression, nous Occidentaux, d'être l'alpha et l'oméga de la planète, ce qui m’a inspiré cette phrase "Afin qu'on redevienne des Indiens, des Indiennes". J'aimais bien aussi l'idée de renverser cette expression, qui s'applique habituellement aux filles. C'était une manière d'inverser les rôles, qui fait écho au titre "Où sont passés les hommes ?".
“De jeunes vieillards impuissants”, écris-tu dans cette chanson.
Comme tous les quadras, j'observe les gamins de vingt ans avec, parfois, du mal à les comprendre... Je ne dis pas que c'était mieux avant, je ne suis pas encore passé du côté obscur (rire), mais il y a des phénomènes qui m'interpellent. Comme ces gosses qui ont la trouille de la société, mais passent leurs journées à faire des carnages sur consoles. Dans cette chanson, je parle des hommes à l'image de Lino Ventura, aux mâchoires carrées et aux moustaches jaunies, que l'on ne voit plus qu'en photo ou à la télé. Une génération disparue.
Le 17 mars à la Cigale