Électro lymphatique
Je flotte, je suinte, je sens le yuzu. Une jolie masseuse japonaise m'a oint le corps d'huile de cet agrume hybride entre la mandarine sauvage et le citron d'Ichang, et me pétrit plus délicatement qu'une patte à pizza. Elle utilise la technique AMMA (littéralement "soulager avec les mains"), une ancestrale méthode de massage lymphatique. Bon, je ne suis pas là pour me faire manipuler, mais pour écouter le nouvel album de Joakim, Samuraï (Tigersushi/Because Music). D'habitude, les écoutes de disques se déroulent dans des bureaux impersonnels parmi des confrères en rang d'oignons. Le label m'a donné rendez-vous au salon Yuzuka pour une "une expérience musicale et tactile inédite". Tout est plus zen quand on est pressé.
Le voyage commence par le vrombissement d'un atterrissage d'avion et quel-ques gongs, bienvenue à Tokyo, Chinatown, ou dans n'importe quelle mégalopole imaginaire. Le nouvel album du DJ et producteur français, installé à New York, dresse une fresque musicale atmosphérique, avec escales ambient et stops krautrock, le tout rythmé par des "Ohm" de saxophone. "Le Samuraï m’est apparu comme une force de résistance et d’idéalisme, un personnage en exil aussi, un totem qui est devenu le titre de l’album", explique Joakim, qui dévora "Le Japon Moderne et l’Ethique Samouraï" de Mishima durant l'enregistrement de cette épopée électro. Massage au tempo, de la plante des pieds jusqu'en haut du dos, le shiatsu s'intensifie au rythme des syncopes de synthés, avant de céder sous les coups du Samouraï. Voix caverneuse sur boucles hypnotiques, techno tactile donc, Joakim pénètre mes tissus lymphatiques sous les doigts de fée de son hôtesse. Studio de massage, salon de mixage, Yuzuka ou Joakim, je ne sais plus où je me trouve ni qui me caresse... Parfois, une sirène urbaine me sort de mon extase amniotique. Faudrait pas s'endormir. Après trente minutes de cette release-relaxation, j'ai les chairs flasques mais l'esprit du Samouraï en moi. Je bois du petit lait, enfin une décoction au yuzu, avant de quitter le salon. J'aurais aimé que l'album tourne en boucle.