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Entretien

Bertrand Burgalat

No format, no blabla

Rendez-vous au Rouquet, une brasserie de Saint Germain-des-Prés, à deux pas de Gallimard et du Café de Flore, prisée par les jeunes écrivains aux poches trouées. Zinc et formica, murs jaunes et néons bleus, vaisselle vieillotte, souvenirs porcelaine, la pendule est bloquée sur les années 50… Le cadre idéal pour rencontrer l’intemporel compositeur-producteur-patron de label et multi-instrumentiste, adepte des basses disco-funk mutantes et des dentelles de marimba. Un homme qui flâne en costume-cravate sous les tours du quartier Flandres, un peu de glamour dans le ghetto. Dans son 9ème album, Les choses qu’on ne peut dire à personne (Tricatel), Burgalat déroule une fresque rétro-futuriste via des courts-métrages crépusculaires ou colorés, qui n’appartiennent à aucune époque musicale.
par Ben

Tout au long de cet album, vous semblez chercher un peu de hauteur, de mesure, ce qui n’est pas vraiment raccord avec les tensions actuelles et les réactions épidermiques que révèlent la Présidentielle.
Le titre de travail de cet album était "Reconstruction", ça en dit long sur ce que je ressentais lorsque je l’ai composé. Ces deux dernières années ont été intenses, j’avais l’impression qu’on était dans une période de table rase, d’où ce disque à la fois sombre, crépusculaire, mais également plein d’espoir. Je sens qu’on est dans une époque d’abattement, mais j’observe aussi toutes ces personnes qui ne se résignent pas. Je voulais pourvoir parler du monde dans lequel on vit, sans dater le discours, ne pas faire un disque d’indignation du monde actuel. Les bonnes chansons sont souvent écrites de façon très intime mais visent l’universel. J’ai peur d’embêter les gens avec mes petits problèmes…

Dans le titre "Son et Lumière", vous évoquez les révolutionnaires de salon, "Les grognards du dimanche qui rejouent le soleil d’Austerlitz" ou "Ce chanteur qui monte sur la table / 20 000 jours après la bataille". A qui pensiez-vous ?
Aux animateurs et artistes qui montent sur les tables des plateaux télé pour faire le show, et qu’on te vend comme des séquences incroyables, alors que Jerry Lewis le faisait déjà il y a 70 ans. Nous sommes dans une civilisation de l’image, du happening, mais je me méfie des postures. Je me rappelle du concert d’un jeune groupe de rock, The Chat Spleen, à Joinville. Ces gamins m’avaient contacté pour que j’aille les voir. Le concert avait été merveilleux, toute la beauté du rock était là : une petite scène d’une salle banlieue, un groupe qui ne se rendait absolument pas compte qu’il était en train d’incarner une histoire, sans calcul, avec fraîcheur et honnêteté.

Musicalement, cet album a un côté rétro-futuriste, via les basses assez disco, mais aussi par le décalage entre les claviers modernes et le marimba, les orchestrations sophistiquées et le chanté-parlé dépouillé. Avez-vous parfois le sentiment d’appartenir à une autre époque musicale ?
Je ne veux surtout pas composer une musique passéiste ! Si, en studio, j’avais l’impression de faire quelque chose de déjà vu, de me singer, j’arrêterais aussitôt. Même si j’ai une patte, comme par exemple un son et un jeu de basse qui reviennent souvent, ou cette voix sans effets, à nu - je voudrais chanter comme je parle -, j’ai toujours veillé à ne pas tomber dans l’exercice de style rétro.

Un mot sur votre bel hommage "Tombeau pour David Bowie". Composer des pièces avant-gardistes à partir d’accords simples, surprendre sans complexifier le propos… Serait-ce là l’un de vos points communs ?
Bowie a réussi à toucher le cœur de millions de personnes avec des morceaux qui avaient toujours quelque chose de surprenant, un accord dissonant que personne n’aurait placé à cet endroit. Je me rappelle avoir écrit un texte sur lui en disant qu’il était le "roi Maya" de Raymond Loewy, le designer franco-américain de la Studebaker. Il disait que "la laideur se vend mal", d’où son concept Maya (Most Advanced Yet Acceptable), selon lequel un produit prêt à être vendu doit être le plus avancé possible tout en étant acceptable pour le client. S’il est trop avancé, il ne trouvera pas son public. J’aurais aimé avoir ce talent de David Bowie : être capable de proposer une musique à la fois extrêmement ambitieuse et accessible à tous.

C’est vrai que, contrairement à lui, et malgré votre riche carrière, vous avez du mal à toucher le grand public. Comment l’expliquez-vous ?
J’ai forcément une part de responsabilité. Je pense qu’il y a beaucoup de bienveillance par rapport à ce que je fais, de la part des artistes comme de la presse, mais je n’ai jamais été l’artiste qu’il est de bon ton de citer, qui gratifie la personne qui en parle. Passer du succès d’estime à une réussite commerciale est aussi une question de personnalité, de charisme. Sans oublier le poids de certains relais d’opinion plus importants que d’autres, comme la télé. Or, je n’ai joué qu’une seule fois à la télé… Quoi qu’il en soit, je re-fuse de jouer un personnage singulier, voire loufoque, pour accéder au grand public. En revanche, je n’ai aucun snobisme vis-à-vis de ce dispositif, j’aimerais que mon label Tricatel sorte des projets grand public en gardant la même sincérité. C’était d’ailleurs le cas avec les disques de Christophe Willem ou Marc Lavoine que j’ai réalisés et qui se sont très bien vendus. Des chansons composées de la même manière que celles de mes albums... Je trouve cela assez drôle.

Cela peut aussi s’expliquer par un malentendu qui vous colle à la peau. En 2005, Marie-Dominique Lelièvre avait écrit dans Libération que vous étiez référencé "pape de l’easy listening, lui qui n’est pas easy à listener".
C’est une formule assez juste. Soit on prend ces malentendus, ces raccourcis en pleine face et on passe sa vie à envoyer des droits de réponse, soit on s’en accommode. Quand je compose un disque, je ne me soucie que de la musique puis j’essaie de tout faire pour qu’il soit compris, partagé, en donnant des concerts ou en répondant aux questions des journalistes. Cette étiquette easy listening, ce sont les gens qui me l’ont collée qui baignaient dans ce style de musique kitsch, pas moi !

Vous qui avez été frayé dans la politique, à droite comme à gauche, quel regard portez-vous sur la séquence présidentielle actuelle ?
Pour moi, une campagne est le scénario d’un bon ou d’un mauvais film. Et quand le scénario est catastrophique, tu peux faire tout ce que tu veux à l’étalonnage, choisir n’importe quel acteur, le film sera un navet. De manière générale, il y a une recomposition des forces politiques assez étonnante, avec environ 50% d’électeurs radicaux, tentés par les extrêmes, à droite et à gauche. De plus, à côté de ceux qui tentent encore de dialoguer, il y a un déferlement de violence sur les réseaux sociaux. Bref, je me demande si je ne préférais pas le vieux monde pourri d’avant… (rire)

La culture a été absente des débats. Qu’est-ce que cela vous inspire ? En tant que vice-président du SNEP (Syndicat National de l’Edition Phonographique), j’ai rencontré les équipes de campagne de trois candidats : Macron, Fillon et Hamon. C’était très intéressant de voir leurs visions de la culture et, franchement, aucune équipe ne m’a enthousiasmé. J’ai parfois été sidéré par ce que j’ai entendu, comme si la musique se réduisait à Johnny Hallyday (sourire). L’Express m’a sollicité pour un dossier sur les propositions des artistes s’ils étaient nommés ministre de la Culture. Je n’ai pas répondu car s’il y a bien un ministère qui ne m’intéresse pas, c’est celui de la Culture, qui se résume à un lot de consolation. Pour agir de manière globale sur ce sujet, celui de l’Aménagement du territoire est bien plus intéressant car, à travers les transports, l’urbanisme et ses autres domaines de compétences, il permet d’agir véritablement sur la place de la culture sur l’ensemble du territoire. Je considère que la musique est une activité économique comme une autre et qu’elle ne devrait pas être soumise à un régime dérogatoire, arbitraire et parfois dangereux, car dépendante de mécanismes de compensation et des subventions, parfois attribuées à la tête du client.

—  Ben

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